Réformer la Fonction Publique : pour quoi faire ? (SNEP-FSU National)

 

Si la Fonction Publique a besoin de réformes afin d’améliorer le service public sur le territoire (santé, éducation, transport…) et reconnaitre l’engagement des agents, la volonté du gouvernement est tout autre ! Cela se lit rapidement dans la lettre de cadrage adressé par E. Philippe au comité CAP 22: «ce comité s’interrogera sur l’opportunité du maintien et le niveau de portage le plus pertinent de chaque politique publique. Cela pourra notamment le conduire à proposer des transferts entre les différents niveaux de collectivités publiques, des transferts au secteur privé, voire des abandons de missions». L’objectif n’était pas l’amélioration du service public, mais l’abandon de pan entier et l’ouverture au privé !

Affaiblir les services publics en brisant la Fonction Publique !

Dans l’histoire, deux lignes de forces se sont en permanence affrontées concernant la Fonction Publique. Celle de la vision d’un fonctionnaire sujet illustré par la phrase de Michel Debré «le fonctionnaire est un homme de silence, il sert… et il se tait», et la vision d’un fonctionnaire citoyen qui a été choisie lors de la mise en place du statut en 1946 et renforcé par les textes de 1983. Ce n’est pas pour rien que le choix d’un statut permettant une fonction publique démocratique, avec des agents citoyens se met en place au lendemain de la seconde guerre mondiale. Tout d’abord parce qu’on sait que quand le pouvoir est concentré il ne sert pas toujours l’intérêt général (régime de Vichy), alors que si une «parcelle de la puissance publique» est donnée à chaque fonctionnaire, cela permet davantage de démocratie. De plus, parce que le pays est exsangue à cette époque, la reconstruction nécessaire ainsi qu’une élévation très forte du niveau de santé, d’éducation, et donc de qualification était primordial… C’est ainsi que le statut reposera sur 3 principes: ÉGALITÉ (de service sur le territoire et d’accès pour les agents), INDÉPENDANCE (le fonctionnaire est un citoyen qui doit avant tout servir l’intérêt général définit par la loi, il ne doit donc pas subir de «pressions» des supérieurs ou des usagers pour accomplir avant tout sa mission), RESPONSABILITÉ (le fonctionnaire est responsable devant les citoyens de son action) C’est ainsi qu’est définit le STATUT général des fonctionnaires en 1946 par Maurice Thorez, ministre communiste,qui met en place:

  • un recrutement par concours (Égalité et compétences), qui découle de l’article 6 de la déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen «….Tous les Citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents.»
  • une carrière qui donne des devoirs (exercer sur tout le territoire notamment) et des droits à l’agent (traitement indexé à l’inflation, avancement, droits syndicaux). La grille des indices fait du COMMUN entre agents de la fonction publique (grille commune pour les indices de rémunération et la valeur du point d’indice est commune à tous). Cette carrière permet de conserver les agents formés et compétents au sein de la Fonction Publique pour servir l’Intérêt Général.
  • des instances paritaires (autant de membre de l’administration que de représentant du personnel) qui permettent d’avoir un espace de «contrôle» des actes administratifs pour éviter l’arbitraire et l’autoritarisme pour les agents, mais aussi de proposer des améliorations pour le service public.

Mais pour les néolibéraux, ce statut novateur et démocratique pose problème pour développer un Nouveau Management Public qui n’a que faire de l’intérêt général, du principe d’égalité, de l’éthique de la responsabilité et du service public en général. La volonté est de servir les intérêts particuliers de quelques-uns pour la rente financière notamment. On l’a vu lors de la privatisation des autoroutes, des barrages hydro-électriques, etc..

C’est pourquoi le gouvernement a lancé son projet CAP 22 pour réformer la Fonction Publique puis en a décliné les propositions dans un projet de loi de transformation de la Fonction publique. On voit ici poindre une conception autoritaire antérieure au statut qui nécessite la levée de toute contrainte à l’exercice d’un pouvoir hiérarchique qui ne souffre pas la discussion. N. Sarkozy avait tenté une réforme similaire, mais le fait que les services publics (et la fonction publique) aient été plébiscité lors de la crise de 2008 (comme des réels amortisseurs de crise) ne lui a pas permis d’aller au bout de sa volonté de casser la fonction publique.

Aujourd’hui la fonction Publique représente 5,3 millions de personne, soit 20% des actifs. Il existe 17,3% de non titulaires.Voici quelques éléments du projet de loi pour dynamiter la fonction publique et la notion de service public!

Le contrat plutôt que la loi !

Le projet prévoit de déroger au principe de recrutement de titulaire sur les emplois permanents au sein de la FPE. Il favorise le recours au contrat (même sur les emplois de directions) et créé un «CDD de projet».

Ce ne sera donc plus la loi qui définira pour l’ensemble des fonctionnaires les missions et les droits. Le statut (et donc la loi) permet un débat transparent sur la définition de l’intérêt général et donc sur les droits et devoirs des fonctionnaires.

Le recrutement de contractuels n’est pas nouveau dans nos métiers, et nous travaillons à faire respecter leurs droits, à ouvrir les voies de titularisation. D’ailleurs, sans l’engagement des personnels non titulaires, les services publics ne pourraient fonctionner. Mais il n’est pas digne de maintenir ces personnels dans la précarité. Nous voyons aussi que la hiérarchie tente souvent de réduire les droits de ces personnels (forfait AS notamment) car les pensant plus «dociles» car liés par un contrat. Le développement des solidarités professionnelles et syndicales permettent d’intervenir quand nous sommes alertés.

«Mieux reconnaitre les mérites individuels» pour briser les collectifs de travail et rendre moins efficace le service public !

Le «mérite» revient sur la table en permanence pour permettre un SP efficace! Pour améliorer le travail des agents, il faudrait simplement développer le «mérite». Les enseignants ne s’investiraient pas au maximum pour faire réussir leurs élèves, les infirmier.es ne font pas de leur mieux pour soigner le patient, les chercheurs «retiennent» leurs idées dans l’attente d’une hausse salariale ? Aussi ubuesque que cela paraisse, cela reste une «permanence» des libéraux, sans aucun doute parce qu’eux ne connaissent l’engagement dans le travail que par la rétribution financière ! Pourtant différentes études menées au États-Unis montrent «qu’il n’y a pas de preuves pour soutenir le postulat selon lequel la rémunération à la performance améliorerait la réussite des étudiants». Il est aussi pointé un «coût» et des ressources considérables pour développer un tel système (évaluations, mesures…) «le coût total des heures complémentaires utilisées pour rémunérer les enseignants au mérite était l’équivalent du salaire de 12 professeurs à temps plein !».1

Et comme par hasard, le «mérite» apparait au moment où le point d’indice est gelé! Ce n’est donc pas un mérite pour «valoriser», mais pour éviter de trop perdre!

La mise en place du mérite n’améliorera pas le système, créera des injustices (notamment hommes/ femmes), des décisions discrétionnaires et arbitraires (c’est toujours le cas et pointé par les études), et coûtera grandement. Si ce n’est pour améliorer le système, l’objectif est ailleurs: manager au mieux en brisant les collectifs (et revendications collectives salariales). Alors que l’amélioration du service public passe par le travail en équipe!

Paritarisme, Fusion des CT et CHSCT : cacher la réalité du travail et des difficultés pour mieux manager !

Le projet vise à regrouper les Comités Techniques et les Comité d’Hygiène de Sécurité et des Conditions de Travail. Pourtant ces instances ont aujourd’hui des rôles différents et importants pour le service public et les conditions de travail des agents. Les comités techniques pour mettre en œuvre les politiques (créations de postes, carte des formations, etc..) et les CHSCT (mis en place en 2013) pour évoquer la «santé au travail» (hygiène, sécurité, conditions de travail). Ces CHSCT mettent en lumière le problème du management et du «travail empêché» qui posent soucis dans de nombreux établissement. Mais cela gêne la volonté de développer les «managers de proximité» (terme employé dans le projet CAP 22)

Paritarisme Commissions Administratives Paritaires : Pour développer l’arbitraire et l’opacité, fini les instances de «contrôle» et de propositions !

Le projet prévoit que les CAP n’étudient que les décisions individuelles défavorables aux agents hormis la mobilité, les mutations, promotions et avancement ! Ainsi, il n’y aura pas de transparence pour les mutations et l’avancement, une étude en CAP ne sera possible qu’en cas de recours administratif préalable ! Impossible de questionner l’administration «simplement», il faudra pour cela que l’agent ait réalisé un recours : cela simplifie la vie des agents !

Outre l’amélioration des barèmes, le travail des commissaires paritaires est de faire respecter les droits de chacun, de porter des revendications d’équité et de justice, de vérifier que les actes (mutations, avancement) soient réalisés de façon transparente, avec ce projet ce ne serait plus le cas. Place à l’opacité et l’arbitraire : une vraie contre-réforme démocratique !

Le projet prévoit aussi de regrouper les CAP non plus par corps, mais par catégorie (A,B, C) ou «grands univers professionnels». Cela voudrait dire la fin de CAP spécifiques de professeurs d’EPS pour aller vers des CAP de catégorie A (ou d’enseignants) : une réelle difficulté pour faire vivre la spécificité de notre métier dans les instances !

Les sanctions décidées par l’employeur seul !

Le projet modifie la loi pour permettre au supérieur hiérarchique direct de prononcer une exclusion temporaire de fonction de 3 jours. Alors qu’aujourd’hui les sanctions disciplinaires existent et passent par les CAP en présence d’élus du personnels, cette sanction serait prise sans aucune procédure disciplinaire et serait inscrite au dossier du fonctionnaire et potentiellement effacée au bout de 3 ans. Est-ce cela, renforcer le pouvoir des «managers de proximité» ?

Plan de départ volontaire : inciter au départ !

Alors que la mise en place de la carrière et du statut ont été réalisé avec la volonté d’inciter les agents à travailler pour le service public et l’intérêt général, le gouvernement fait tout le contraire. Depuis des années, les conditions de travail (effectifs, cadences, sens du travail) se dégradent en rendant le travail plus pénible. Pour ajouter à cela, le projet de loi prévoit de «Développer les dispositifs et aides au départ vers le secteur privé», notamment en améliorant la prime de départ. C’est une réelle incitation à partir, alors que les besoins sont énormes pour la santé, l’école, etc….

Alors que les défis qui s’ouvre à nos sociétés sont immenses (écologie, santé, éducation…) il est nécessaire de développer grandement les services publics, c’est pourtant le chemin inverse qui est choisi par le gouvernement, ainsi qu’une «caporalisation» des agents qui va à l’inverse du développement démocratique nécessaire pour les collectifs de travail.

Ce projet devra être stoppé au plus vite, il est nécessaire d’informer au maximum sur ce projet rétrograde qui va détruire les principes des services publics en France. Nous appelons à une mobilisation générale d’ampleur.

Il est à souligner que cette réforme est avant tout idéologique car la fin du statut n’entrainera pas automatiquement des économies comme le rappelle le Comité Économique Social et Environnemental.

Le CESE dans un avis voté unanimement en janvier 2018 le dit sans ambiguïté:

«C’est […] le statut et la séparation entre la carrière et l’emploi qui permettent de garantir la responsabilité, l’indépendance et le traitement équitable du fonctionnaire-citoyen, tout en permettant à l’administration de maîtriser les affectations sur les emplois à pourvoir. […] Ce dernier (le statut) et son corollaire obligé, le principe d’adaptabilité, ont montré leur capacité à faire face à des enjeux d’évolution importants. Il n’est pas démontré que leur abandon apporterait des avantages importants, y compris en matière budgétaire»

 

SNEP-FSU National

 


  1. Alain Chaptal, Thomas Lamarche et Romuald Normand, «Le merit Pay aux Etats-Unis: une idée simple, une mise en œuvre problématique», Payer les profs au mérite ? Syllepse 2007

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